En 2017, le monde de l’économie ne semble pas être encore favorable aux femmes. Non seulement ces dernières subissent plus les affres de la recherche d’emploi que leurs homologues masculins, a compétences et postes égaux, mais celles qui parviennent à gravir les échelons de l’entreprise se heurtent au fameux plafond de verre, un système à la fois non perceptible et difficilement franchissable.
Les explications de ce phénomène sont connues : absence des femmes dans les réseaux d’influence, essentiellement pour des raisons de conciliations entre la vie privée – qui inclue l’éducation des enfants et les tâches ménagères – et la vie professionnelle, comportements misogynes de la part de managers et dirigeants, dans des activités considérées comme masculines, mais aussi autocensure de la femme qui s’auto-évalue de manière plus dure que son collègue masculin (Bertin-Mourot et Laval, 2006). Aussi, de manière générale, elle se « vend moins bien » que son homologue masculin lors qu’une occasion de promotion se présente.
Dans ce contexte. Nous nous sommes posé la question s’il n’y avait pas un autre phénomène, peu observé, la moindre prise en compte des idées provenant des femmes, c’est-à-dire un plafond de verre des idées que les femmes pourraient émettre.
Le point de départ de notre réflexion est le constat que, si la loi impose désormais aux conseils d’administration des entreprises cotées 40 % de femmes (loi Copé-Zimmermann de 2011), les idées émises par ces femmes sont souvent intrinsèquement liées à des propositions d’innovations radicales (Diaz-Garcia et coll., 2013), et ces idées ne sont pas toujours retenues par le groupe (Gupta et coll., 2014). Aussi, à volume égal, les idées des hommes pourraient être plus sélectionnées que les idées des femmes. Bien évidemment, on pourra rétorquer qu’au niveau de la direction d’une entreprise, peu importe l’émetteur de l’idée pourvu que cette dernière soit jugée pertinente pour assurer la pérennité de l’activité. Toutefois, au-delà de cette critique, nous nous sommes posé la question : et si le phénomène était plus global ? Et si le débat sur la place des femmes dans l’économie se portait pas seulement sur la parité dans les groupes (de décision) mais sur l’égale rétention des idées émises par les femmes et les hommes ?
Pas de différence entre la créativité des étudiants et des étudiantes issues d’un même cursus éducatif
Pour mettre à jour ce phénomène, nous avons effectué une expérimentation auprès de 443 jeunes étudiants d’école de management, quelques jours seulement après leur intégration. Ils se connaissent peu. Il leur a été demandé de remplir un petit test de créativité pour évaluer leur agilité créative, c’est-à-dire la capacité d’émettre le plus d’idées possible à partir d’un problème simple. Nous avons, à ce stade constaté, aucune différence significative entre les étudiants et les étudiantes. L’agilité créatrice des femmes est similaire à celle des hommes.
En soi, le phénomène s’explique aisément : tout d’abord, ce résultat est tout à fait conforme aux travaux en neuropsychiatrie, selon lesquels les aptitudes cognitives des femmes sont très similaires à celles des hommes. Les travaux en psychologie sociale du Professeur Amabile à l’Université de Harvard expliquent que l’agilité créatrice dans un domaine particulier est surtout liée à la motivation intrinsèque de l’individu, à son expérience du domaine dans lequel on lui demande d’être créatif et à l’entraînement que l’individu à envers l’exercice créatif (Amabile, 1997). Ici, dans le contexte étudié, les étudiants, comme les étudiantes, ont des motivations plus ou moins égales (la bonne note, l’effort d’intégration, éventuellement la curiosité) et ont une expérience similaire dans le domaine sur lesquels ils ont été invités à travailler. De même, pour la quasi-unanimité, c’est la première fois qu’ils sont confrontés à cet exercice. En outre, issus du même milieu éducatif, il n’est donc pas étonnant de trouver aucune différence significative entre l’agilité créative des hommes et des femmes.
Pour la créativité, le plafond de verre des idées existe mais pas là où on l’imagine…
Dans un second temps, par groupe de 4 à 5, à l’aide d’un jeu de créativité, les étudiants ont développé une idée d’innovation. Ce sont plus de 100 idées que nous avons collectées et qui ont été évaluées en aveugle par des experts en créativité, à la fois sur le plan académique (des chercheurs dans le domaine, habitués travailler sur les critères d’évaluation des idées de produits nouveaux) et sur le plan « plus pratique » (des directeurs d’innovation, des responsables de développement de produits nouveaux).
Précisons que ces groupes de travail avaient été au préalable constitué par nos soins. Certains groupes ne comportent que des filles, d’autres que des garçons, d’autres sont parfaitement mixtes et d’autres groupes, enfin, sont majoritairement féminins ou majoritairement masculins.
Là encore, nous n’avons constaté aucune différence significative entre les groupes. Toutefois, nous ne nous sommes arrêtés là. Les étudiants devaient présenter leurs idées à leurs pairs, devant 8 autres groupes. Ensuite, à l’issue des présentations chaque participant avait trois votes à répartir sur les autres groupes (sur le poster de l’idée). Et surprise, nous avons constaté une grande différence entre les groupes, mais pas du tout en alignement avec nos hypothèses de départ.
Lorsqu’ils sont invités à évaluer les idées de leurs pairs, les étudiants eux-mêmes créent le plafond de verre des idées. Pour autant, ils ne discriminent pas tant les idées émises par les groupes de filles ou majoritairement constitués de filles, ni par des groupes de garçons ou majoritairement constitués de garçons d’ailleurs, mais les idées émises par les groupes… mixtes ! Mieux : ils tendraient à mieux évaluer les idées émises par des groupes de filles, que celles émises par les groupes de garçons !
Le rejet des idées émises par des équipes mixtes : qu’est ce que cela signifie pour les groupes de créativité ?
Nos résultats contredisent bon nombre de travaux qui témoignent de la vive créativité des équipes mixtes et diverses et pas seulement en termes de genre. En outre, ils montreraient que, si la première phase du processus créatif, la phase d’idéation, n’est pas genrée, il n’en serait pas de même de la phase d’évaluations et de sélection. Plusieurs interprétations sont possibles pour expliquer ce qui se passe durant cette seconde phase. On peut arguer que les étudiants, issus de la jeune génération française et n’ayant que très peu travaillé en entreprise, sont habitués à la mixité depuis leurs études post bac et après bac et n’ont pas d’a priori sur les idées émises par des filles ou des garçons.
La discrimination positive envers les groupes de filles, dont ils feraient part, pourrait être liée à l’appréciation du jugement d’un bon travail, encore scolaire pour la plupart, les jeunes femmes renvoyant l’image, à cet âge, de réaliser un travail appliqué.
Enfin, le rejet des idées portées par des groupes mixtes pourrait s’expliquer par le concept de « ligne de faille » dans les groupes : complètement mixte, le groupe perd, en apparence, de sa singularité (Pearsall et coll., 2008). Par association d’idées, les évaluateurs les rejettent… tout comme les idées qui vont avec.
Guy Parmentier et Séverine Le Loarne-Lemaire
Ce texte s’appuie sur un article du cahier spécial sur la créativité organisationnelle de la revue Management International à paraître fin décembre 2017 (volume 22, numéro 1).
Guy Parmentier, Maître de conférences HDR en Sciences de Gestion, Université Grenoble Alpes/grenoble IAE et Séverine Le Loarne-Lemaire, Professeur Management de l’Innovation & Management Stratégique, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.