Fiche de lecture
Innovation killers : how financial tools destroy your capacity to do new things
Christensen, Kaufman et Shi, Harvard Business review, 2008
Pourquoi des entreprises bien gérées avec des dirigeants intelligents n’arrivent-elles pas à innover ?
Les auteurs identifient 3 outils d’analyse financière comme étant les responsables de cette difficulté
– L’utilisation du cash flow escompté et de la valeur actuelle nette
– La manière de fixer les coûts désavantage les entreprises en place face à leurs concurrents
– L’accent sur le bénéfice par action comme référence de la création de valeur pour l’actionnaire détourne des investissements à long terme
Ces outils qu’on mobilise pour évaluer les investissements détournent de l’innovation. les auteurs proposent une nouvelle méthode pour mieux évaluer la valeur future d’un investissement afin de ne pas tuer l’innovation avec des outils inappropriés.
Usage impropre de Cash-flow Escompté et Valeur Actuelle Nette
La première erreur concerne la manière d’actualiser le cash flow pour calculer la valeur actuelle nette. L’erreur consiste à comparer l’actualisation des revenus de l’investissement dans l’innovation avec l’actualisation de la situation sans cet investissement, en supposant que l’entreprise restera en bonne santé financière si l’investissement n’est pas effectué. Cependant à long terme la concurrence fait baisser les prix et le volume des ventes et diminue ainsi le cash flow.
La deuxième erreur concerne la manière d’évaluer le cash flow issue de l’investissement. C’est très difficile à évaluer pour les innovations de rupture qui créent des perturbations. Le problème du sous-investissement provient donc de l’utilisation abusive et simplifié de la valeur actuelle nette.
Utilisation de dépenses fixes et coûts déjà amortis
Le dirigeant va seulement considérer les dépenses exigées par l’investissement dans l’innovation face aux dépenses marginales sur un équipement déjà amorti. Ce raisonnement oriente le choxi vers la démultiplication d’actifs déjà existant pouvant devenir potentiellement obsolètes.
L’industrie sidérurgique américaine est un bon exemple. La technologie des mini-fours utilisée par Nuccor à perturbé ce secteur. Cette technologie était mise en œuvre sur des segments de marché moins exigeants au niveau de la qualité mais elle s’améliorait de manière continue, ce qui permettait à ses promoteurs d’attaquer progressivement de nouveaux marchés. Nuccor comptait faire 70 $ de bénéfices par tonne d’acier en investissant dans ces nouveaux fours alors que pour USX, une tonne d’acier supplémentaire sur ses équipements existants lui procurait 300 $ de bénéfice. L’investissement dans une nouvelle usine type mini-four n’avait donc pas de sens pour USX. Nuccor a baissé continuellement ses coûts et amélioré sa technologie, tandis que USX n’a pas réduit ses coûts moyens.
L’attrait d’un investissement ne doit pas être évalué sur ces bases. Quand de nouvelles technologies ou de nouvelles capacités de production sont exigées, il ne faut pas seulement considérer le coût marginal pour produire mais le coût complet. La firme en place aura tendance a considérer qu’il est coûteux d’investir dans de nouveaux équipements, marques ou canaux de distribution et cherchera à démultiplier l’existant. Le nouveau conçurent n’a pas le problème de choisir entre le coût marginal et le coût complet, pour lui, le coût est celui du coût complet. Ce problème survient quand la durée de fonctionnement d’un actif est plus longue que sa durée de vie compétitive. Les managers devraient radier ces actifs mais s’ils le font, ils sont sanctionnés par les marchés financiers. Pour sortir de ce dilemme, les dirigeants doivent faire leur analyse d’investissement de la même manière que leurs concurrents en privilégiant la stratégie qui assure la compétitivité à long terme.
Concentration aveugle sur le bénéfice par action
Le bénéfice par action est étant le principal critère création de valeur pour les actionnaires, les dirigeants privilégient ce favorise la performance de l’action à court terme et prêtent moins d’attention à l’investissement à long terme dans l’innovation. Ils sont donc contre les investissements qui mettent en danger ce bénéfice en oubliant par ailleurs les autres indicateurs tels que la position sur le marché, le portefeuille de marque, le capital intellectuel et la compétitivité à long terme. Les bénéfices sont même quelquefois utilisés pour racheter les actions afin de maximiser le bénéfice par action diminuant ainsi l’argent disponible pour investir dans des nouveaux produits et services de ruptures. De plus, les entreprises qui ne maximisent pas la valeur de leurs actions sont plus vulnérables aux OPA, à ces pirates des fonds de placements qui revendent les sociétés par morceaux ou remplacent le dirigeant pour maximiser les profits. Dans un tel contexte, le dirigeant ne peut que privilégier le court terme.
En fait, le problème provient du fait que les actionnaires, shareholder, ne sont vraiment des détenteurs d’une partie des actions mais plutôt des « share owner » des propriétaires d’une partie de l’entreprise (90% des entreprises américaines côtés en bourse sont détenues par des fonds de placement, avec une présence moyenne de moins de 10 mois). Pour ces fonds, l’entreprise n’est qu’une plateforme pour améliorer les revenus financiers à court terme. Ironiquement, les salariés investissent dans des fonds de placement qui mettent en danger leur emploi à long terme en privilégiant le bénéfice par action à court terme.
Des processus de gestion qui sabotent ou supportent l’innovation
Le système stage-gate innovation.
Le processus d’innovation est découpé en plusieurs étapes : faisabilité, développement et lancement. A chaque étape, une revue de projet évalue le progrès et le potentiel du projet, le projet continue ou s’arrête suivant le résultat de l’évaluation. A chaque étape, les critères de décision sont axés sur le volume des revenus projetés et les risques associés. Ce type d’évaluation est inadapté pour les innovations de rupture car le marché est au début assez petit et imprévisible, de plus il faut plusieurs années pour réaliser des profits. Les innovations de ruptures sont donc désavantagées par rapport aux innovations incrémentales qui paraissent moins risquées et plus profitables.
Le système Discovery-driven-planning
Les équipes projet savent quels revenus minimum il faut gagner pour que le projet soit rentable. Dans ce cas, il faut mieux partir de ces minimums et poser les questions critiques auxquelles il est nécessaire de répondre, à chaque étape du projet, afin d’aboutir à ces objectifs et que le projet réussisse.
Le plus souvent l’échec de l’innovation provient d’être parvenu à des réponses incorrectes plutôt que d’avoir posé les bonnes questions. Il faut revoir les outils pour poser les bonnes questions.
Ce texte pointe la déficience des certaines méthodes d’analyse financière qui sont enseignées dans nos école de management. Si à la base le raisonnement mathématique est juste, leur application est souvent inadaptée au contexte de l’économie moderne, qui suppose de prendre des risques pour assurer le développement de son entreprise. L’évaluation de ces risques ne peux pas se faire avec les outils classiques d’analyses financières. Les auteurs proposent des pistes pour améliorer l’utilisation de ces outils mais il reste encore beaucoup à inventer dans ce domaine.