Après la mise en place du Focus Group « Imaginons ensemble la station de ski de demain », l’heure est au bilan. Je viens de finir l’analyse des verbatim et la rédaction du rapport à destination de la station de ski. Cette opération était aussi pour moi une recherche participante, une mise en situation réelle pour récolter des données pour mes recherches sur le management de l’innovation, tout en prenant du recul pour pouvoir analyser cette méthode.
Premier constat, ça marche, on peut effectivement associer à la réflexion, en ligne, des utilisateurs sur des produits autres que purement technologique. Dans ce cas, il s’agissait de tester des innovations de services concernant les loisirs en station de ski. J’avais suivi l’utilisation de d’une méthode très proche dans le domaine des télécoms, avec la participation d’étudiants ou de personnes attirées par la technologie. Ici, il s’agissait de s’adresser à des pratiquant les sports de glisse et fréquentant les stations de ski. A l’issu du Focus Group, j’ai recueilli assez de contenu pour analyser l’acceptabilité des innovations, assez d’idées pour les repositionner afin de les transformer en concept viables et susceptibles d’intéresser les skieurs.
Deuxième constat, le recrutement est la phase la plus difficile de cette méthode. Se pose souvent la question classique de trouver des volontaires assez représentatifs de la population auxquelles sont destinés les innovations. A ce stade, une précision s’impose, la représentativité n’est pas importante pour cette méthode, ce qu’on recherche avant tout ce sont des personnes ayant envies de donner leur avis et assez créatives pour générer des idées autour des concepts d’innovations présentés.
Extrait des questions sur le forum
Une telle logique heurte une des règles de base des études de marché. Néanmoins, je rappelle qu’il s’agit d’innovation, donc par définition des produits et services pour des marchés qui n’existent pas. Comment pouvons nous alors avec certitude cibler tel ou tel population ? En procédant de cette façon, on risque fort de passer à côté d’une innovation majeure. Il me faut quand même modérer ce propos. Tout dépend du niveau de radicalité de l’innovation. Pour tester une innovation radicale, nous aurions effectivement intérêt à aller chercher des internautes qui se rapprochent des clients habituels. Par contre, pour une innovation radicale, on peut s’en éloigner.
Dans notre cas, j’ai cherché à recruter des skieurs qui étaient actif sur internet. Des skieurs qui n’étaient pas forcément représentatif des skieurs fréquentant les stations de ski, mais qui avaient pratiqué le ski en station, et qui avaient probablement des choses à dire. Je souhaitais donc recruter les participants sur des forums spécialisés dans les sports de glisse
Troisième constat, une telle démarche est à la frontière entre le marketing et la conception, ce qui quelquefois dérange fortement les responsables des forums sur internet
Quels sont les forums actifs sur Internet autour du ski ? Voilà la première question que je me suis posée. Le postulat est, des internautes qui interviennent dans les forums sont susceptible d’être intéressés pour donner leur avis dans un forum privé.
Nous avions identifié, deux forums principaux, celui de skipass.com et de skitour.fr. L’un fréquenté plus particulièrement par des skieurs et surfeurs passionnés, l’autre plutôt par des randonneurs à ski, qui fréquentent les stations de ski ou même qui les ont fuis.
Par déontologie, j’ai écris aux administrateurs de ces deux forums pour leur demander l’autorisation de passer une annonce invitant les internautes à participer à ce forum. J’ai été très bien accueilli par skitour et très mal par Skipass. Sur le coup, j’ai pensé que skipass, qui se finance principalement par la publicité, voulait simplement vendre une publicité. Ce n’était nullement le cas, pour lui ce forum était une opération commerciale, et donc l’annonce de recrutement n’avait rien à faire dans le forum. J’ai eu beau expliqué que je ne vendais rien, mais que justement je voulais associer les utilisateurs à une réflexion sur l’organisation des stations de ski et les éventuelles innovations qu’il faudrait faire pour améliorer leur séjour en station, le refus a été catégorique. Avec cette position, le responsable de skipass a privé ses lecteurs d’une information qui leur aurait permis de s’exprimer sur les stations de ski.
Ce refus est pour moi assez éclairant sur le caractère un peu hybride d’une telle démarche. On se situe entre une logique participative, presque un débat public et une logique d’étude marketing, puisque en définitive on conçoit des produits et services qui vont être vendus. On peut soit heurter la logique du débat public, soit s’éloigner fortement de l’étude marketing. Cependant aujourd’hui, une grande partie de notre vie dépend de produits et services qui sont vendus, je ne connais pas de station de ski gratuite, en autogestion ou en service public Est-ce alors une raison pour que l’utilisateur n’ait rien à dire ? Parce que c’est commercial, il faut l’exclure de la conception ? Le débat public n’étant alors réservé qu’à la sphère du service public ou de la vie hors activité commerciale. C’est à mon sens, une vue très étroite de la démocratie. Comme ces produits et services font partie de son quotidien, l’utilisateur devrait pouvoir s’exprimer et participer à la conception. On voit donc ici que la co-conception, conception participative et autres démarches associant l’utilisateur, ont aussi un aspect fondamentalement politique.
Finalement, j’ai passé des annonces sur les forums de skitour.fr, skieur.com, snowsurf.com et une news sur freepresse.com et sur toutleski.com. Je remercie d‘ailleurs ici tous les administrateurs des forums et des sites qui ont compris l’intérêt de cette démarche.
Extrait des annonces
L’annonce renvoyait à une page d’explication de la démarche, puis à un questionnaire qui me permettait de profiler un peu es skieurs. Les questions portaient essentiellement sur les pratiques des sports de glisse et autres sports de montagne, la fréquentation des stations, l’âge, la ville, le nombre d’enfants. A ce stade, je ne demandais que le prénom et le mail. Je ne voulais pas laisser penser que ce questionnaire était une manière de ce faire un fichier à moindre coût, ce qui n’était évidemment pas le cas. Le recrutement a durée un peu moins de 2 semaines. 3 jours avant la fin du recrutement, j’ai fait appel à un panel intégrant des utilisateurs de second life, de façon à recruter aussi des personnes sensibles à la technologie et surtout n’habitant pas près des stations de ski. J’avais remarqué que les répondants issus des forums étaient majoritairement des habitants de la région Rhône-Alpes. Faire appel à ce panel avait aussi un objectif de recherche, pourvoir comparer si l’apport des résidents de Second Life était significativement différent que l’apport des internautes venant des forums. Je remercie aussi la société Repères, une des première agence d’étude marketing a s’être installé sur Second Life, de nous avoir laissé accéder à son panel Second Life.
Sur cette période, nous avons obtenu 210 inscriptions. Ce qui était largement suffisant pour constituer nos groupes de focus group. Nous avons choisis de constituer trois groupes de façon à tester les innovations sur un panel, non pas représentatif, mais susceptible de représenter les différentes façons de vivre les loisirs en station de ski.
Notre premier groupe, appelé Piste Verte, rassemblait des skieurs allant en station moins de six fois à plus de dix fois par an, mais ayant tous des enfants, et habitant pour moitié en dehors de la région Rhône-Alpes. Ils étaient majoritairement issus des forums.
Notre deuxième groupe, appelé Piste Bleue, rassemblait des skieurs et surfeurs, allant plutôt moins de six fois par an en station, avec ou sans enfants, mais issu du panel Second Life, et habitant sur toute la France.
Notre troisième groupe, appelé Piste Rouge, rassemblait des skieurs fort pratiquants de ski, allant plus de dix fois en stations, issus des forums et habitants majoritairement en région Rhône-Alpes.
Quatrième constat, il faut prévoir au moins une semaine entre la fin du recrutement et le début du focus group. En effet, une fois les groupes constitués, nous avons envoyés un mail aux internautes pour les informer de leur recrutement. Dans le mail, nous demandions l’adresse postale pour envoyer les bons cadeaux ou les forfaits de ski, et nous leur demandions d’accepter une convention de participation. A l’origine je prévoyais un peu près 20 % d’abandon en me basant sur mes expériences précédentes. Nous en avons eu plus de 30 %. Il m’a fallu donc refaire les groupes et envoyer des mails à d’autres internautes, avec le risque que les précédents se réveillent tardivement malgré la date limite signalée dans le mail. Il faut donc prévoir de faire plusieurs vagues pour le recrutement final, une première vague sur 3 jours et deux autres autre vagues de 2 jours jusqu’à arriver au nombre d’internautes souhaités. Pourquoi tant d’abandon ? Peut-être que certains internaute ne souhaitait pas révéler leur véritable identité.
Cinquième constat, quand vous faites une telle étude sur internet, il faut donner des gages de confiances aux internautes. Les débats qui ont eu lieu sur le forum skitour suite à mon annonce sont assez révélateurs. J’avais hébergé la page d’explication du focus sur un sous dossier de ce blog, il était donc facile pour les internautes de savoir d’où venait cette annonce. La première question des internaute sur le forum était, d’où venait cette annonce, pour qui et qui faisait l’étude. Avant que j’y réponde des internautes sont venus vérifier sur le blog. Un commentaire indiquait que l’on pouvait s’inscrire à l’étude car on savait qui faisait l ‘étude et je mettais même ma photo sur le blog. Conclusion, n’avancez jamais masqué et soyez déjà présent sur internet pour réaliser un focus group en ligne, donner des gages de confiance.
Sixième constat, il faut prévoir un temps important pour l’animation et les synthèses intermédiaires. En effet, comment se passe un focus group en ligne ? On pose une à deux questions par jour aux internautes et quelquefois on les relance par des synthèses intermédiaires ou des questions plus ciblés à un internaute en particulier (sur le forum ou en messagerie privée). Nous avions élaborés à l’avance nos questions et le déroulé du forum. Néanmoins, une fois le forum lancé, il faut adapter les questions en fonction des réactions des internautes. Ce qui fait qu’il faut suivre et analyser le forum quasiment en temps réel de façon à être très réactif. De plus, les synthèses prennent beaucoup de temps car il ne s’agit pas seulement d’agréger les commentaires des internautes, mais de donner un peu de sens à leurs réactions. Gérer trois focus group en simultanée prend donc beaucoup d’énergie et de temps. L’avantage d’une telle méthode c’est qu’on gagne du temps ensuite à l’analyse puisqu’on la prépare en faisant les synthèses. Néanmoins, les logiciels de forums intègrent aucun outil qui pourrait faciliter la vie de l’animateur : recherche automatique de mot clefs et création de tags sur des séquences de phrases. Pour cela, il faut exporter le texte dans des logiciels spécialisés. Ce forum a été hébergé sur la plateforme de Gide, cette société loue son forum à la semaine avec un service de personnalisation graphique.
Extrait des discussions
Septième constat, il faut éviter de recruter uniquement des passionnés. Ils sont trop pris par leur passion pour consacrer du temps à ce type de forum. J’ai pu constater une réelle différence de participation entre les trois groupes. La participation dans Piste Verte et Piste bleue a été 30% plus élevée que pour Piste rouge, les passionnés de ski. Il faut dire que la période ne s’y prêtait peut-être pas, il ne s’arrêtait pas de neiger en montagne, d’où probablement un appel très fort des sommets. Par contre, leurs contributions ont été aussi riches que les autres et leurs présences étaient indispensable à ce focus group
Huitième constat, cette méthode est finalement très éloignée du focus goup en présentiel. Un focus group se fait sur une courte période, 2 à 3 h, la discussion est synchrone. Des effets de groupe très fort peuvent apparaître, la parole peut être fortement influencé par d’autres dans le flux de la conversation. Dans un forum, le premier peut aussi influence les autres mais l’écrit permet de prendre plus de distance et favorise la réflexion. Cette méthode est aussi appelé bulletin board, en référence au premier dispositif de discussion sur internet. Je préfère finalement l’appelé forum de conception. Un forum ouvert aux internautes pour les associer à la conception, privé ou public, sur une courte période ou permanent.
J’ai aussi envoyé un questionnaire par mail aux participants sur la façon dont ils avaient vécus le forum et pour essayer de les positionner en tant que lead user et/ou leader d’opinion. Le questionnaire n’a pas encore été analysé.
Je vous livre ici une première réflexion sur cette expérience, je vais continuer à analyser les données de façon à écrire un article plus complet sur le sujet à destination d’une revue académique.
Je trouve intéressante cette idée d’enrichir ces “forums de conception”, que j’appelle aussi “ateliers participatifs”, d’outils de repères de mots clés…, de manière à aider à la réalisation de synthèses intermédiaires.
Merci pour ce retour.
Je pense que le refus de skipass peut s’expliquer par le fait que certaines régies proposent d’être rémunéré au LEAD…
Il peut s’agir de proposer aux visiteurs de répondre à un questionnaire sur le site, le webmaster étant rémunéré pour chaque questionnaire rempli…
Aussi, ils ont considéré que l’accès à leurs utilisateurs méritait rémunération…
Il ne me semblait pas que c’était un problème de rémunération, mais bien une question de principe éditorial
interessant comme sujet..avez vous publié un rapport de cette étude visible pour le public? ou est il disponible??
L’étude a été commandée par une station de ski qui ne souhaite pas la rendre publique pour le moment. Néanmoins, je suis en train de rédiger un article de recherche pour un numéro spécial de Gestion 2000 consacré aux mutations du tourisme. Si il passe le comité de lecture, il sera publié en 2010.
Bonjour Guy,
Je trouve cette étude très intéressante et aimerait la publier dans le prochain numéro du magazine EHLITE dont je suis la rédactrice en chef.
Je vous remercie par avance de bien vouloir me contacter par e-mail si ma proposition vous intéresse.
Cordialement,
VB