Fichier Edwige : innovation incrémentale, innovation radicale, ou innovation de rupture ?

Sans aucune discussion parlementaire, au cœur de l’été, a été publié au Journal Officiel la création par décret du fichier Edwige. De quoi s’agit-il ? Ce nouveau fichier recensera les personnes “ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif” mais aussi celles qui “en raison de leur activité individuelle ou collective sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public”. Y fulgureront donc adhérents, sympathisants, hommes politique, entrepreneurs, syndicalistes, délinquant potentiels, suspects… Ce serait la synthèse entre les fichiers tenus par les RG et la DST.Finalement, on peut s’étonner d’un tel raffut autour de ce fichier, rien de nouveau, puisque ces fichiers existent déjà. D’après le rapport de Alain Baueur (Alain Bauer 2007), il existe déjà 36 fichiers dont le celui le STIC (Systèmes de traitement des infractions constatées), le FNAEC (Fichier National Automatisée des Empreinte Génétiques) et le fichier des personnes nées à l’étranger, qui semblent poser le plus de problème.

Seulement voilà, aujourd’hui la multiplication des technologies de capture de l’information, de traçage et de traitement, ainsi que la numérisation de l’information changent complètement la donne.

Ce qui nécessitait avant une horde de fonctionnaires pour acquérir et traiter l’information peut se faire quasiment automatiquement. C’est dans ce contexte “explosif” qu’arrive ce fichier qui simplifie encore plus le fichage puisqu’il réunit en un seul fichier un ensemble d’information dispersée auparavant et accessible à de catégories différentes de policiers. L’accès aux traces localisées temporellement et géographiquement  permet d’établir une image assez précise de ce que fait la personne, voire de ce qu’est la personne. Ces méthodes sont déjà utilisées massivement sur internet pour faire du profilage, afin d’optimiser l’impact de la publicité. Une tel “violation” de la vie privée des personnes ne semble plus émouvoir personne, sans doute le prix à payer pour la gratuité d’internet ?  Cependant, avec l’arrivée du fichier Edwige et les multiples technologies de traçage, on est plus seulement dans le virtuel mais bien dans le monde physique.

En effet, il est possible de localiser une personne assez précisément grâce à son téléphone portable, de suivre ses déplacements et transactions avec sa carte bancaire, les puces RFID qui se multiplient dans objets de consommations, la vidéo surveillance qui quadrille de plus en plus les rues des villes. Prises séparément, ces technologies ne sont pas forcément dangereuses, elles permettent même de nous simplifier la vie, réunies ensemble, connectées à un fichier centralisé, sans contrôle, on n’est pas loin du cauchemar des sociétés totalitaires qui sont décrit dans les livres de sciences fiction les plus noirs. Je vous conseille à ce propos le premier roman de Alain Damasio, La zone du dehors, (Damasio 2007), qui à travers un récit passionnant nous raconte comment il est possible d’établir un contrôle total du citoyen à l’aide de ces technologies de traçage et  des techniques de profilage issus du marketing. Lumineux, exaltant, angoissant à la fois, cet auteur, nous met en garde et pointe le doigt là où ça fait mal.

Bientôt comme le signale Armand Mattelart, “Ne pas vouloir être mis en fiche, voilà le crime aujourd’hui” (Mattelard 2007).

Revenons à Edwige, on a bien là une innovation, plutôt de nature incrémentale, ce n’est qu’après tout la réunion de fichiers déjà existants. Néanmoins la multiplication d’innovation à la fois incrémentale et radicale des technologies de traçage, crée un contexte favorable à une véritable rupture, une véritable innovation radicale, qui pourrait complètement changer notre rapport au pouvoir, notre liberté d’agir, d’être et de vivre. Nous pointons ici les effets de seuils, qui existent dans toutes les organisations, la multiplication de petites nouveautés qui un jour crée une véritable rupture, pour le meilleur comme pour le pire.

Bibliographie
Mattelart Armand (2007). La Globalisation de la surveillance : aux origines de l’ordre sécuritaire, La Découverte, 2007
Damasio Alain (2007). La zone du dehors, La volte, 2007
Bauer Alain (2006) Fichiers de police et de gendarmerie : comment améliorer leur contrôle et leur gestion ? La Documentation française; 2006

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