Pierre-Jean Barlatier, Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST)
Cet article est publié dans le cadre de la vitrine inaugurale de la Revue française de gestion, « Innovation et numérique : quelles implications managériales ? » qui se tiendra le 27 septembre 2017 au château de Wiltz (Luxembourg) de 18h30 à 20h. En partenariat avec le Luxembourg Institute of Science and Technology, et The Conversation France, cet événement est organisé à l’occasion de la diplomation de DBA (Doctorate in Business Administration) du Business Science Institute, dont les jurys regroupent une trentaine de professeurs de sciences du management pour 17 soutenances de thèses de DBA de doctorants-managers. Inscriptions en cliquant ici.
Qui n’a pas entendu parler de la transformation numérique et de ses effets sur la vie économique et sociale ? Au-delà des contributions des nouvelles technologies numériques en matière de communication, cette mutation révèle un potentiel sans précédent en termes d’innovation en générant de nouvelles manières de créer (co-conception), de financer (crowdfunding), de s’organiser (virtualisation), et de capturer de la valeur (nouveaux modèles d’affaires…). Pour autant, ce potentiel est encore difficile à appréhender et à contrôler pour la majorité des entreprises qui avancent encore à tâtons dans ce nouveau monde numérique.
Un récent dossier spécial de la Revue française de gestion (N°254) s’est intéressé aux enjeux et opportunités associés à ces nouveaux challenges, et propose une relecture des nouvelles perspectives liées au management de l’innovation.
1. Développement de nouveaux produits et nouveaux processus d’innovation
L’avènement des nouvelles technologies numériques a pour conséquence de mettre l’information au cœur des nouveaux biens et services, désormais « connectés ». Cette nouvelle donne technologique appelle des modèles différents pour combiner les propriétés physiques et numériques et par conséquent impacte les méthodes et processus classiques d’innovation de produits. Du fait de la complexité de l’anticipation des usages liés aux technologies numériques et de leur malléabilité, les processus d’innovation numériques sont plus dynamiques, non-linéaires et ouverts.
Cette nécessaire accélération de la R&D est elle-même amplifiée par l’utilisation des nouveaux outils numériques comme les médias sociaux (tels que Twitter, Facebook…) ou plateformes de crowdsourcing d’idéation (comme Innocentive…) ou encore de communautés d’utilisateurs/testeurs pour des applications smartphones. Parfois même les utilisateurs emploient les nouvelles technologies numériques pour créer de nouveaux usages ou services qui dépassent les fonctionnalités du produit original.
Ce phénomène est d’autant plus facilité par la démocratisation de l’usage de ces technologies fondée sur l’ubiquité et leur accessibilité en termes de coût. Un autre facteur fondamental inhérent à l’innovation de produits et services est l’expérience utilisateur (ou UX). La success-story des produits Apple montre que les nouveaux produits et services numériques doivent avoir des fonctionnalités et propriétés esthétiques définies avec soin, mais également offrir un haut niveau d’ergonomie afin d’en maximiser la motivation et l’engagement des utilisateurs à les acheter et les adopter.
2. Nouvelles interactions écosystémiques et restructuration des industries
Le développement des capacités des biens et services par les technologies numériques engendre une redéfinition des règles concurrentielles et des frontières des industries, notamment par la menace des grandes firmes détentrices de données et d’information (tels les GAFA) en tant que nouveaux entrants potentiels sur les marchés existants ou encore par l’irruption de nouveaux acteurs disruptifs (tel Uber).
Cette nouvelle donne conduit les entreprises à repenser la proposition de valeur faite à leurs clients en y intégrant des innovations numériques sous peine de devenir acteur mineur condamné à la disparition. Par conséquent, les entreprises intègrent de plus en plus les interactions dynamiques et complexes avec leur environnement dans leur stratégie de développement, et raisonnent en écosystèmes d’affaires et d’innovation afin de repenser leurs modèles de création et de capture de valeur. Porter et Heppelmann illustrent cette notion avec leur exemple de la ferme connectée, où la création d’un système connecté efficace d’équipement de tracteurs, de motoculteurs et se semeuses relié à un système intelligent de données météo, d’optimisation d’ensemencement et d’irrigation permet de dégager une performance globale supérieure.
Pour autant, si les données sont là, accessibles à moindre coût et prêtes à révolutionner les modèles d’affaires et structures industrielles existantes, les problématiques liées à la fois aux différents régimes de protection (que ce soit de la propriété intellectuelle, des données personnelles ou du secret des affaires) mais aussi à l’appropriation de la valeur créée par l’innovation, évoluent conjointement.
Par exemple, considérons le débat actuel sur le déséquilibre des politiques et mécanismes de protection des données personnelles et l’exploitation de ces mêmes données par des firmes comme Facebook ou Amazon. Quelle politique d’utilisation adopter entre législations locales et business global ? Dans les marchés de haute technologie, les usages conjoints des mécanismes de droits de propriété intellectuelle (brevet, marque, copyrights…) sont courants et leur rôle devrait évoluer pour faire face à une exploitation quantitativement en expansion et qualitativement en révolution.
3. Nouveaux designs organisationnels : vers une redéfinition du temps et de l’espace
La dernière dimension impactée que nous allons aborder ici est celle de l’organisation elle-même. Les nouvelles technologies numériques sont sources d’innovation organisationnelle pour toutes les fonctions de l’entreprise afin de faire évoluer en temps réel l’offre de services, soulevant ainsi de nombreux défis.
En effet, si la collecte et le traitement des données sont sources de coûts supplémentaires, elles requièrent des capacités organisationnelles de traitement de ces données, mobilisent l’attention des décideurs, nécessitent un savoir-voir managérial pour l’identification des opportunités d’innovation et exigent le développement de capacités d’apprentissage, de rôles et de compétences « digitales » des employés.
En outre, les nouvelles technologies numériques offrent la possibilité aux acteurs de prendre des décisions rapides et de résoudre des problèmes au gré de leurs activités, d’une manière beaucoup plus flexible. Elles augmentent très fortement le volume des échanges et flux d’informations, à la fois horizontalement et verticalement, dans et au-delà des frontières de l’organisation. Elles transforment ces interactions en organisations virtuelles temporaires qui transcendent les frontières d’une simple organisation. Elles offrent ainsi la possibilité de créer des espaces sociaux éphémères de travail, c’est-à-dire des structures sociales transitoires dans lesquelles les décisions, les actions, l’apprentissage et l’innovation peuvent survenir. Étudier ce phénomène pose inévitablement la question de comment (ré)concilier les notions de temps et d’espace dans les organisations.
En somme, à la fois évolution et révolution, tantôt mirage tantôt eldorado, la transformation numérique offre de nombreuses opportunités qui vont engendrer de nouvelles réalités, et par conséquent, irrémédiablement transformer les théories et pratiques actuelles de l’innovation.
Pierre-Jean Barlatier, Chercheur, Business Administration, Industrial Organization, Information Systems, Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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