« Être seuls ensemble », depuis leurs confinements, les individus mobilisent les communautés en ligne, pour se soutenir, se divertir, et endiguer un virus à l’échelle mondiale. À l’origine, les communautés sont “des collectifs fondés sur la proximité géographique et émotionnelle, et impliquant des interactions directes, concrètes, authentiques entre ses membres”. Depuis 50 ans, le virtuel crée une nouvelle forme de proximité qui favorise l’apparition de communautés dans de nombreux domaines. Et paradoxalement, ces collectifs virtuels créent des affinités entre leurs membres. Traditionnellement, on distingue deux grandes catégories de communautés : les communautés de pratiques où l’attention est portée sur le partage et l’apprentissage de nouvelles pratiques, et les communautés épistémiques où l’objectif est la création de nouvelles connaissances. Profitant d’un monde reclus sur la toile, le nombre de communautés en ligne a fortement progressé. Mixant souvent ces deux catégories, plus ouvertes, plus massives et fulgurantes, ces communautés feraient-elles partie d’un nouveau type de communauté virtuelle : les “communautés de crise” ?
Un processus de mise en œuvre accéléré
Le contexte de crise lié au Covid-19 a un effet catalyseur sur la création de nouvelles plateformes virtuelles. Les communautés en ligne ont besoin de temps pour se construire, trouver leur public et créer du lien entre les utilisateurs. Le phénomène actuel, à l’inverse, semble accélérer ce processus de mise en place. Les outils nécessaires à la création de nouvelles communautés virtuelles sont préexistants (sites internet, réseaux sociaux), facilitant la naissance de communautés rapidement fonctionnelles.
Par exemple, dans le réseau social ResearchGate, la communauté de scientifiques “COVID-19 research community” s’est créée le 17 mars dernier et rassemblait 28 jours plus tard plus de 10 700 membres, publiant plus de 40 papiers par jours en moyenne.
Sur une autre plateforme créée par Dassault en 2015, le 3D experience Lab, la communauté “The Open Covid 19 community” a déjà rassemblé plus de 300 membres, faisant de cette communauté l’une des 10 plus grosses sur la plateforme qui en compte 35 depuis sa création.
Une ouverture au plus grand nombre
La communauté n’est pas ouverte par nature. Le sociologue Émile Durkheim voit dans ces groupes émerger des émotions collectives qui résultent de la récurrence des interactions autour d’un sujet fédérateur. Les membres construisent ainsi une communauté liée par des connaissances et émotions communes. Ces mêmes membres peuvent aussi “créer du lien autant que de l’exclusion sociale”. Aussi, le groupe peut être difficile à intégrer pour un nouvel utilisateur qui aura besoin de temps avant d’y trouver sa place. Dans les communautés issues de la crise, la force de la cause commune rend les communautés plus accessibles et permet l’implication d’un public plus large. De plus, les mesures de confinement peuvent dégager du temps libre, créer une solitude nouvelle, développer une volonté d’agir… encourageant les personnes à se retrouver sur internet. On voit même l’émergence de communautés virtuelles qui sont généralement peu actives dans le monde physique en dehors des périodes de crise, comme par exemple Voisinsolidaires ou Allovoisin, des plateformes d’aide locale.
Une massification de l’offre et des utilisateurs
Alors que le monde entier évolue autour du virus, une grande diversité d’acteurs développe des communautés en ligne pour s’adapter à la crise. Tous les domaines s’acclimatent à la nouvelle façon d’échanger et de communiquer sur internet. Sport, religion, politique, santé, divertissement : les communautés en ligne fleurissent dans tous les milieux que nous fréquentons. Que ce soit par la création de nouvelles plateformes ou par l’hybridation des anciennes, le monde continue de tourner et la diversité offerte par le virtuel semble montrer que nos habitudes peuvent s’adapter à cette situation inédite. Ces exemples montrent l’extrême diversité des communautés qui attirent rapidement des milliers d’utilisateurs.
Accompagnés du hashtags #Stayhome, des ultra trailers organisent le “confined sport challenge”. Un rendez-vous hebdomadaire en ligne où des participants du monde entier réalisent des exploits sportifs en tout genre, depuis chez eux.
Le mouvement politique “place publique” invite sa communauté à rejoindre “les débats du confinement” chaque mardi soir lors d’un évènement Facebook.
Les communautés religieuses se dématérialisent, proposant moments de cultes, messes et baptêmes lors de rassemblements en ligne.
Une créativité en tout lieu
La motivation comme l’ouverture, que l’on retrouve dans les communautés de crise, sont des mécanismes qui rendent une communauté créative. Le phénomène est dû, entre autres, à la socialisation massive des individus sur les réseaux sociaux qui permettant la collecte, l’échange et l’enrichissement des idées (voir : comment la créativité peut aider à surmonter la crise du Covid-19). Lorsqu’il évoque la créativité, dans son livre Le Cri d’Archimède, Arthur Koestler met en avant le mécanisme de bissociation, la combinaison d’éléments a priori sans rapports, comme créateur de nouvelles idées. Ce phénomène s’observe au sein de communautés développées ces dernières semaines comme par exemple autour du Getty Museum Challenge dans laquelle les internautes développent une forte créativité pour reproduire des tableaux célèbres en photo (#GettyMuseumChallenge). La production d’idées créatives n’est pas l’objectif premier de ces nouvelles communautés virtuelles mais en devient toutefois un résultat important qui permet de trouver des solutions pour lutter contre la crise.
Vers une motivation plus sociétale
La motivation de l’utilisateur à s’engager au sein d’une communauté virtuelle naît souvent de la recherche d’un bénéfice personnel. D’ailleurs plus les contributions sont de qualités, plus l’utilisateur se sent engagé dans la communauté et contribue à son tour (Voir l’article de Caroline Wiertz et Ko de Ruyter de 2007). Dans le contexte de crise actuel, les motivations se sont transformées : moins centrées sur le bénéfice personnel mais plus portées par l’effet de solidarité et de partage. L’utilisateur participe pour soutenir des causes sociétales. Par exemple, accompagner les personnes seules, les seniors, encourager les soignants… pour participer au souffle de solidarité d’un monde confiné.
Cette crise est la première d’une telle ampleur dans un environnement où les technologies de l’information et de la communication sont aussi développées. Elle pose la question de la nature de ces communautés en ligne émergentes. Accélération, large ouverture, massification, grande créativité et motivation sociétale, sont les caractéristiques différenciantes de ces “communautés de crise” qui en font un formidable lieu d’action pour lutter contre les effets de la crise. La question se pose aussi de leur maintien dans le temps, leur momentanéité s’ajoutera-t-elle à leurs signes distinctifs ?
Cet article a été écrit en collaboration avec Zoé Masson, doctorante en Sciences de Gestion au laboratoire CERAG