La créativité est un processus de production d’idées dépendant de multiples facteurs individuels et contextuels. La créativité amène les individus à faire appel à leur imagination pour repenser l’existant dans l’objectif de trouver des solutions novatrices. L’expertise des individus, leur motivation et leur capacité à la pensée divergente sont des éléments importants pour la génération des idées (Amabile, 1988). Mais la créativité est aussi un processus de production d’idée dépendante des méthodes utilisées telles par exemple le brainstorming (Alex Osborn), le résolution de problème (Alex Osborn), la pensée latérale (De Bono), la bissociation (Arthur Koestler). Les travaux de recherche réalisées sur la créativité et l’analyse des méthodes utilisées mettent en avant un ensemble de facteurs contextuels qui semblent influencer la qualité et la quantité des idées : immersivité, socialisation, sérendipité, ouverture, motivation et bienveillance. Ces facteurs sont longuement détaillés dans un article co-écrit avec Pierre-Laurent Felix qui a été présenté à la conférence internationale d’information et management en 2011 (Parmentier et Felix, 2011).
Ces facteurs sont en général intégrés dans les méthodes de créativité. La phase d’échauffement par exemple ne sert pas seulement à activer le sens créatif des participants mais aussi à favoriser leur socialisation avec une activité ludique. D’ailleurs, on peut facilement constater empiriquement durant les séances de créativité, quelque soit la technique utilisée, que quand les participants s’amusent, la qualité de la production est meilleure. Ce qui m’amène à partir de ce constat empirique a poser la question :
Le jeu aurait-il un impact majeur sur la créativité et l’innovation ?
L’examen de la littérature sur le jeu nous donne de précieuses indications pour répondre à cette question. Caillois (1967) a défini le jeu comme une activité libre, incertaine, improductive, décalée et fictive. Les joueurs sont libres d’inventer leur cheminement dans les limites imposées par les règles. L’activité du jeu est incertaine car la progression du joueur ne peut être déterminée pour atteindre les objectifs fixés par les règles. Elle est improductive, dans le sens où le jeu peut être éternellement recommencé et qu’il n’est pas lié à une utilisation externe donnée. Elle est décalée au sens qu’elle se situe en dehors de la vie courante, dans un espace-temps qui lui est propre. Enfin, le jeu est une activité fictive au sens où le joueur a conscience qu’il vit dans une réalité alternative de la vie courante. Dans cette optique, le jeu est aussi une activité sociale qui un effet majeur sur la socialisation des joueurs (Huizingua, 1938). Les jeux intègrent en outre deux composantes fondamentales qui se mélangent afin de constituer son caractère ludique et enivrant, le ludus, qui correspond aux règles du jeu et à l’espace de liberté permises par ces dernières, et la paidia qui est une sorte de désordre favorisant l’immersion dans le jeu (Caillois, 1967). Notons que l’on retrouve la notion de paida et de ludus dans les techniques de créativité qui demandent d’associer des phases de liberté, de divergence créative mêlant exploration, improvisation et hasard, à des phases de convergence qui poussent à sélectionner les idées afin qu’elles puissent répondre à un problème posé au préalable. Le jeu permet aussi une forte immersivité dans l’activité en favorisant un état de flux, c’est à dire un état mental dans lequel l’individu est complètement immergé dans l’action, hors de lui-même, avec une concentration maximale (Csikszentmihalyi, 2004). Finalement, il est reconnu que le jeu a un effet majeur sur la motivation intrinsèque des participants (Malone, 1981). La littérature indique donc que le jeu pourrait favoriser la motivation, l’immersivité, la socialisation et la sérendipité.
Le jeu est bien un élément qui peut influencer la créativité des participants lors de séances de créativité. La majorité des méthodes actuelles semblent ignorer l’importance des activités ludique, le jeu n’y ait considéré comme un élément de support mais pas comme le fil conducteur du processus de création. Il est temps de revoir nos méthodes, d’y intégrer une composante ludique plus forte afin d’en améliorer la productivité.
Amabile, T. (1988). A model of Creativity in Innovation in Organizations, Research in Organizational Behavior, vol. 10, pp. 123-167.
Caillois R. (1967), Les jeux et les hommes, Gallimard.
Csikszentmihalyi M. (2004), Vivre : la psychologie du bonheur, Paris, Éditions Robert Laffont.
Huizingua J. (1938), Homo Ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu: Gallimard.
Malone T.W. (1981), Toward a theory of intrinsically motivating instruction, Cognitive Science, vo. 5, n° 4, pp. 333-69.
Parmentier et Felix (2011), Jeu et processus créatif : l’intérêt du jeu pour la créativité dans un environnement virtuel, Conférence AIM, Saint-Denis de la Réunion